Le superpouvoir secret d’Ottawa : la ville du bootstrap

Nov 5, 2024

Par: Nick Quain – Vice-président, Développement des entreprises, Investir Ottawa

Le classement des villes canadiennes en capital de risque était souvent frustrant pour moi.

J’adore les listes. Les classements, les statistiques, les tops 10 et les autres indicateurs du genre me captivent toujours. Et surtout, j’aime ma ville. J’ai toujours mis Ottawa en valeur, et je l’ai toujours encouragée, même en gérant ma société à Toronto.

C’est pourquoi, jusqu’à récemment, voire Ottawa ne réaliser qu’une fraction de son potentiel dans des classements comme le venture capital reports de la CVCA, un rapport utile sur les tendances des investissements en capitaux, était source d’irritation.

Ottawa est la quatrième plus grande ville du pays, et pourtant, on ne se hisse que rarement dans les cinq meilleures places. Dans le rapport de la CVCA pour le T2 2024, Ottawa était huitième. Même si le récent rapport 2024 de Startup Genome faisait l’éloge de la capitale pour le chemin parcouru dans les classements mondiaux du secteur des technologies, il donnait à la ville la piètre note de un sur dix pour l’accès aux capitaux. Pendant ce temps-là, d’autres villes canadiennes (Calgary, par exemple) affichaient un six sur dix.

Malgré tout, j’ai récemment réalisé que l’écosystème des technologies d’Ottawa avait quelque chose d’unique : le manque de capital d’investissement ne nous a pas freinés du tout. De fait, son statut de « ville du bootstrap » a probablement aidé.

La plupart des jeunes pousses ne devraient pas se concentrer sur la chasse au capital dans les premières étapes. Au début, elles accordent souvent trop d’importance à la recherche d’investissements et pas assez au produit et à la clientèle. Même si elles parviennent à mettre la main sur des financements rapidement, le manque de validation et d’élan peut leur causer beaucoup de tort. À partir du moment où elles doivent dépenser cet argent, elles s’engouffrent souvent dans une situation irréversible. Trouver du capital dans les premières phases ne garantit pas la réussite à long terme, et c’est très certainement sur le long terme que misent les jeunes pousses.

Je devais valider mon hypothèse, alors j’ai commencé par poser de grandes questions…

Le manque de capital d’investissement a-t-il impacté la croissance de notre écosystème des technologies?

Si Ottawa ne s’est pas démarquée dans le capital d’investissement par personne pendant des décennies, elle s’est imposée comme ville ayant la plus grande densité de travailleurs du secteur en Amérique du Nord (CBRE), à égalité avec San Francisco. Ottawa se hisse dans les dix premiers rangs du classement global des meilleures villes d’Amérique du Nord pour le secteur des technologies, devant toutes les autres villes du Canada sauf Toronto (quatrième). San Francisco, New York et Seattle occupent le podium. Pourtant, même si Ottawa reçoit moins de capital d’investissement que les autres villes de sa taille, elle abrite plus de travailleurs du secteur par personne que n’importe quelle autre ville d’Amérique du Nord.

Comment est-ce possible?

La clé, c’est le bootstrap. Les entrepreneurs qui adoptent cette stratégie n’ont pas besoin d’autant de financement que les autres, et ont tendance à créer des entreprises et des emplois plus durables. Une description parfaite d’Ottawa.

Le manque de capital d’investissement a-t-il entravé l’émergence locale de grandes entreprises des technologies?

Même en recevant moins de capital d’investissement, Ottawa a donné naissance à une des plus grandes entreprises des technologies de tous les temps, dont la croissance est fulgurante : Shopify, qui demeure la plus grande entreprise du pays dans le secteur. Et

Ottawa a plus d’un tour dans son sac; Kinaxis fait également partie des dix meilleures entreprises des technologies du secteur public canadien. Certaines villes qui reçoivent généralement plus de financements d’amorçage qu’Ottawa, comme Calgary et Vancouver, feraient tout pour avoir de tels chefs de file. À Ottawa, nous avons les deux.

Et ça ne s’arrête pas là. Ottawa abrite d’autres « centaures » (entreprises qui génèrent plus de 100 M$ de revenu) qui galopent vers le statut de géants internationaux, par exemple Calian, Ross Video et Fullscript, tandis que les firmes comme Assent et Solace mènent la vague suivante.

Même avec moins de capitaux, Ottawa produit un nombre disproportionné de leaders des technologies. S’il apparait contradictoire, ce phénomène est logique quand on comprend le bootstrap, qui vise à faire plus avec moins, à dépenser intelligemment et à créer de la croissance durable. Ces entreprises sont faites pour durer (bravo à Jim Collins).

Comment l’écosystème des jeunes pousses d’Ottawa excelle malgré des financements limités?

Même en recevant moins de capitaux, Ottawa continue de produire de nombreuses jeunes pousses, et un nombre record d’entreprises en croissance qui ont commencé par le bootstrap (avant d’augmenter leur capital pour grandir).

Dans la Silicon Valley, privilégier le bootstrap jusqu’à atteindre 1 M$ de revenu sans financement externe est une anomalie. À Ottawa, c’est la norme. Il suffit de consulter une liste de nos entreprises à la croissance la plus forte, comme Knak, Rewind, Noibu, DistillerSR et LemonadeLXP, qui ont adopté cette stratégie jusqu’à atteindre plusieurs millions avant de chercher des financements robustes.

Nous pouvons également citer plusieurs entrepreneurs en série qui ont réussi avec cette méthode, donnant des entreprises comme Field Effect et Fellow. Il y a aussi des firmes comme Ross, JSI, RBR et Pleora, qui ont lentement gagné en envergure sur plusieurs décennies pour s’imposer comme des acteurs majeurs de notre écosystème technologique.

Il ne s’agit pas de dire que le capital d’investissement est une mauvaise chose. Nombre de ces entreprises ont réuni des sommes notables, et Ottawa a établi le record de financement obtenu dans les cinq dernières années (plusieurs milliards). Malgré ces records, nous sommes toujours exclus des cinq premières places, ce qui suggère d’après moi qu’Ottawa utilise plus efficacement son capital, c’est-à-dire avec les bonnes entreprises, et au bon moment.

Le capital d’investissement, c’est comme du carburant de fusée. Quand une entreprise est alignée avec un marché et prête à grandir rapidement, c’est le moment d’enclencher le turbo. Si elle n’est pas prête, forcer la croissance peut finir en explosion.

Quand je repense à la manière dont la culture du bootstrap s’est parfaitement intégrée à l’écosystème ottavien, je me dis qu’on doit remercier The Ottawa Network.

En 2010, le réseau a compris la tendance et lancé les Bootstrap Awards, un événement annuel unique toujours aussi apprécié des entrepreneurs aujourd’hui. Sans surprise, Shopify était l’une des premières entreprises à gagner un prix lors de la première édition.

Pour un marché qui donne le la du bootstrap en Amérique du Nord, il paraît normal d’avoir célébré les bootstrappers pendant près de 15 ans pendant que les autres villes se concentrent sur des classements basés sur le financement obtenu.

J’ai récemment discuté avec des pairs à Montréal, à Toronto et à Kitchener-Waterloo, et ils ne voient pas autant de jeunes pousses émerger qu’on en voit à Ottawa. Ce n’est peut-être pas si surprenant que ça. Le manque de capital disponible n’est pas chose nouvelle dans le secteur ottavien des technologies, et il n’empêchera pas nos entrepreneurs de se lancer.

Le monde des jeunes pousses entre dans une nouvelle ère, et Ottawa est dans une position idéale pour tirer parti des nouveaux outils et des pratiques exemplaires entrepreneuriat. L’essor des outils ne nécessitant pas de code (ou peu) et l’accès facile à l’IA générative rendent le bootstrap plus facile que jamais. De fait, les investisseurs s’y attendent de plus en plus. L’écosystème d’Ottawa est dans une position unique pour s’épanouir dans cette nouvelle réalité, tant ces outils jouent sur nos forces.

Quand les prochains classements de la CVCA sortiront plus tard cette année, et qu’Ottawa sera classée plus bas que les autres, je me permettrai un petit sourire entendu au lieu d’un froncement de sourcils. Je pense d’ailleurs que les entrepreneurs à succès d’Ottawa feront la même chose.


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